Colloque pour les 100 ans d’Erving Goffman (1922-1982) 
organisé les 28-29 novembre 2022 à l’EHESS (Campus Condorcet)
par Mathieu Berger (UCLouvain/CriDIS-IACCHOS), Daniel Cefaï (EHESS/CEMS) et Carole Gayet-Viaud (CNRS/CESDIP).







Mark

Politiques de l’interaction
Relire Goffman sous l’angle du politique

Mathieu Berger, Daniel Cefaï, Carole Gayet-Viaud

28-29 novembre 2022


Voilà 100 ans que naissait Erving Goffman et son œuvre, lue et relue, nourrit depuis plusieurs décennies une grande diversité de travaux. L’entrée dans la compréhension de la vie sociale au travers de l’ordre de l’interaction, qu’il a élaborée dès sa thèse en 1953 et qu’il a thématisée jusqu’à sa conférence de président à l’ASA en 1981, s’est avérée d’une grande fécondité, et notamment pour ce qui est de l’enquête sur le politique. Ce centenaire offre une occasion d’en faire le bilan, et, à l’épreuve de ses héritages contemporains, d’ouvrir de nouvelles pistes de recherches sur les politiques de l’interaction, avec Goffman et au-delà de son enseignement.

Nous voudrions rassembler un ensemble de recherches dans lesquelles l’œuvre de Goffman est mise à l’épreuve de situations et d’objets qui la poussent à ses limites, enjoignant de reprendre à nouveaux frais son traitement de la question politique. Dans la rue, dans les débats publics, dans les situations de travail, dans l’interaction police-population, dans les relations patient-médecin ou assistant social-usager, dans l’espace domestique, des relations éducatives aux disputes conjugales, dans les formes d’engagement civique et de mobilisation politique, comment l’étude de l’ordre d’interaction nous apporte-t-elle de nouvelles perspectives ? L’œuvre de Goffman fourmille d’interrogations qui nous amènent à nous demander ce que nous qualifions de « politique ». Elle sème le trouble dans une compréhension trop facile de l’émergence et de l’opération de normes sociales. Bien qu’ayant contribué à nourrir des approches renouvelées des espaces publics urbains, des engagements civils et civiques, des rapports de genre et des relations raciales, Goffman est souvent taxé d’apolitisme. On lui reproche de cantonner ses analyses à des séquences d’interaction courtes et à des situations de petite taille, à des objets « microsociologiques », déconnectés ou connectées de façon trop « floue » aux enjeux politiques, sociologiques ou historiques.

Comment relier l’analyse des interactions à d’autres échelles spatiales et temporelles de la réalité sociale, qui transcendent l’ici et maintenant d’une scène de coprésence ? Comment interpréter la question centrale, théorique et pratique, du fameux « couplage flou », qui articule l’ordre de l’interaction, d’une part, et l’ordre des structures ou des institutions d’autre part – le loose coupling qui apparaît dans son texte-testament sur l’ordre d’interaction (1983) ? Quelles sont les conséquences de ce couplage dans la menée de l’enquête et les analyses produites ? Faut-il y entendre un assentiment à l’opposition entre micro et macro, en ajoutant parfois une couche méso pour faire la jonction ? Dans quelle mesure s’en tenir à une définition de la situation en termes de « coprésence » ? Et comment cette « coprésence », de plus en plus médiatisées par toutes sortes d’artefacts, se transforme-t-elle ? Comment interroger les formes situées de la vie sociale, dans ce qu’elles ont d’incertain, d’indéterminé (mais non d’arbitraire ou de gratuit), sans affirmer pour autant leur entière autonomie (réduction présentiste, clôture dramaturgique), ni en faire les simples illustrations « micro » d’un ordre de structures sociales ou de processus historiques (réduction structuraliste) qui se jouerait ailleurs ?

Ces questions seront posées moyennant des enquêtes empiriques. Que deviennent coprésence et ordre public quand se multiplient les médiations d’information et de communication ? Quelles réponses sont données à des troubles de l’interaction ? Comment l’outillage goffmanien éclaire-t-il les formes de dispute, conflit et conciliation ? Que dire des ordres de genre et ordre raciaux comme ordres d’interaction ? En quoi les dynamiques de stigmatisation et de discrimination et de leur contestation se sont-elles transformées depuis les années 1960 ? Que faire de la notion de rassemblements pour étudier des assemblées participatives ou des mobilisations collectives ? L’étude de phénomènes de « vandalisme interactionnel » nous permet-elle de mieux comprendre certaines pathologies de l’engagement public dans nos démocraties ?





Mark