Colloque pour les 100 ans d’Erving Goffman (1922-1982) 
organisé les 28-29 novembre 2022 à l’EHESS (Campus Condorcet)
par Mathieu Berger (UCLouvain/CriDIS-IACCHOS), Daniel Cefaï (EHESS/CEMS) et Carole Gayet-Viaud (CNRS/CESDIP).







Mark
Conférences

Waverly Duck
(University of California,
Santa Barbara)

“How I learned What I Learned” by Studying Interaction Orders: How “Troubled" Interactions Violate “Trust Conditions” to Produce Deviance


Troubled interactions are situations in which talk, self-presentation, and interaction itself break down – often in subtle ways not noticed by all participants. This talk illustrates the use of an interaction order approach, grounded in the work of Goffman and Garfinkel, to study such troubled interactions. Doing this reveals counter-intuitive and unexpected aspects of how meaning and self are ordinarily achieved. Drawing on video and audio recordings, I offer illustrations from my ethnographic and ethnomethodological research in which communication and mutuality break down, leading participants to ascribe motives to each other as they attempt to explain what went wrong and why. These motives do not drive the action, rather they emerge from and serve as accounts for the trouble -in the process producing deviance. The illustrations that I use capture the operations of local interaction orders in relation to (1) neighborhood poverty and drug dealing, (2) food apartheid and neighborhood solidarity, and (3) interaction in a clinic where children are assessed for autism (focusing in particular on a test in which autistic children are asked to respond to questions about emotions). By way of these examples, I demonstrate how studying interactional trouble can make visible constitutive and regulatory practices/expectations that are ordinarily tacit, while also establishing a context in which to discuss why I became a qualitative researcher.   



Anne W. Rawls
(Bentley University)

From Goffman’s Interaction Orders to Tacit Racism: a Sociological Theory of Modernity, Cooperation, and Justice


Goffman’s Interaction Orders and Garfinkel’s Member’s Methods and their Trust Conditions ground an approach to social justice – and in particular racial justice – in the context of Durkheim’s proposal that “constitutive practices” that are detached from beliefs become the primary way of making sense and self in modernity. This approach explains how injustice can get institutionalized in the ordinary details of interactional expectations and suggests ways to overcome that injustice. Appreciating the potential of this approach requires a re-reading of classic sociological theory that recognizes the innovative contributions of Black and Jewish sociologists whose double consciousness alerted them that modern society is not organized on the basis of consensus. Making meaning and self in diverse modern social contexts is an ongoing cooperative process grounded in situated constitutive practices.


Iddo Tavory
(New York University)

Disruption, Culture and Interaction: Why we need to move beyond Goffman


Goffman’s work both defined a sui generis interaction order and pointed to the way in which this interaction order is intertwined with broader social orders. Both in his earlier notion of dramaturgical strategy and in his slightly later notion of the « interaction membrane » these socio-cultural orders shape the interaction order, even as there are endogenous pressures and structures that « belong » to the realm of the interactional. Goffman’s modes of connecting the interaction order and the broader social world, however, are beholden to the idea that the goal of interaction is, primarily, about sustaining face (for self and other) and sustaining the interaction as such. Based on my work with Gary Fine, I push against this key assumption, and show how (a) dramaturgical disruption is key to any understanding of the interaction order; (b) such refocusing of the interaction order requires us to re-think the relationship between interactional and other social orders, and especially the thorny question of « culture and interaction ».


Don Weenink,
Laura Keesman

(University of Amsterdam)

Problems of ‘nextness’ when violence looms. A study of social workers and police officers.


What happens when people have difficulty to deal with intimidation, threats and (potential) violence in their profession? Following Goffman (1961/2013: 25-6), these situations may produce an « inundation of the bases of action » because participants experience a particular form of tension, arising from sensed discrepancies between « the world that spontaneously becomes real » to them and « the one they are forced to dwell in » (idem: 43). This form of tension can undermine not just the definition of the encounter but also participants’ role identities, leaving them « bewildered about what next to do, or what next to try to be » (idem: 44). We aim to advance Goffman’s ideas by focusing on bodily-emotional transformations experienced by social workers and police officers. We used video-elicitation and body maps to generate accounts of situations we call « halted nextness », which rendered them indecisive, not knowing what to do, restless, « freezing » and « paralysed ».


Communications

Pierre-Yves Baudot
(Université Paris-Dauphine /
IRISSO)

L’espace public comme entre-soi valide. Le handicap face à la condition d’accessibilité.


Goffman peut-il être utile pour comprendre les usages de l’espace public des personnes handicapées ? En faisant des identités blessées le principe ordonnant les interactions des personnes handicapées avec les valides dans l’espace public, Goffman pointe le trouble dans l’interaction que le handicap produit. Mais il ne peut décrire les conditions d’accès à l’espace dit « public » qui peuvent tenir les personnes à l’écart de cet espace dit « public ». A l’instar des rapports genrés et raciaux à l’espace public, le rapport à l’espace public des personnes handicap est marqué par des logiques de minorisation, de marginalisation et d’exclusion. L’inacessibilité de l’espace « public » limite la publicité, l’émergence et la construction de ce problème public, dès lors largement dépendant de sa représentation par des porteurs d’intérêts non directement concernés. Le rapport à l’espace public des personnes handicapées ne peut pas être uniquement rendu par la description fine des interactions qui ont lieu, mais que son appréhension demande de décrire l’ensemble des obstacles qui empêchent leur réalisation.


Mathieu Berger
(UCLouvain/CriDIS-IACCHOS
& EHESS/CEMS)

Cellule, membrane, couplage :
Goffman et les (néo)fonctionnalistes, sur la topologie de l’interaction.


Si l’on ne peut réduire Goffman à un « microfonctionnaliste », on ne peut nier l’influence du fonctionnalisme sur sa sociologie, une influence revendiquée par Goffman lui-même, et qui caractérise notamment son approche topologique de l’interaction sociale, en particulier de la conversation, conçue comme « un petit système social qui tend à préserver ses frontières ». Si c’est en référence aux travaux menés à Harvard autour de Parsons que le premier Goffman (1953 ; 1961) envisage l’espace de l’interaction comme une « cellule » entretenant avec son dehors une relation sélective via une « membrane », la mention tardive d’un « couplage lâche » (1982) entre ordre de l’interaction et ordre social semble indiquer que Goffman suivait de près ou de loin les développements réalisés entre-temps en systems theory. Nous tenterons, pour notre part, de relire le problème du loose coupling esquissé par Goffman à partir de la sociologie néo-fonctionnaliste de Luhmann et de recherches luhmanniennes plus récentes consacrées au « système de l’interaction » et à son environnement.


Samuel Bordreuil
(CNRS/LAMES)

Paris, 1830 : Émergence de l’hyper-centre et historicité du Goffmanland.


Dans « L’ordre de l’interaction » Goffman, à l’appui de l’irréductible de cet ordre, évoque ces espaces recélant des ressources aussi rares que nécessaires, où les accédant, ne partageant guère que l’espace qu’ils s’y partagent, s’en remettraient aux grammaires foncières de « l’OI ». Notre matériau – « Paris, 1830 » — porte sur ce type d’espace. Il permet de décrire l’emprise macro d’une organisation urbaine selon ce critère de la rareté : soitune polarisation autour de l’émergence d’hyper centres. D’une main, on suivra l’élargissement de l’assiette où ont cours les coprésences typiques qui s’y génèrent mais, d’une autre, les rapportant aux trames des sociabilités urbaines qu’ils révoquent, on prendra la mesure de leurs effets disruptifs. Ainsi s’ouvrirait une fenêtre pour éprouver la prise du « Goffmanland » à l’aune des épreuves que sa prise suscite dans les trafics urbains. Ce qui se passe de turbulent dans « l’économie sociable des jeux de regards » offrira un des fils conducteurs de l’analyse. L’enjeu étant de délivrer un modèle intriqué des relations entre macro et micro, selon lequel les effets macros peuvent d’autant mieux être saisis qu’on les rapporte aux ordres micros qui les réfractent.


Maxime Boucher
(Université de Montréal)

Défaire et refaire la participation démocratique. Quand gaffes, crises et sournoiseries transforment les dispositifs participatifs de la planification urbaine.


Les exercices de planification urbaine mettent à l’épreuve les personnes qui rejoignent les dispositifs participatifs afin qu’elles expriment des points de vue sur la revitalisation de leurs milieux de vie. On a parfois tendance à accentuer leur vulnérabilité lorsqu’elles commettent des impairs, ne maîtrisent pas les codes, ignorent les règles du jeu ou expriment trop ouvertement leurs émotions. Et si, plutôt, il s’agissait d’actions planifiées pour ébranler une organisation jugée trop rigide, tourner en ridicule les champions de la langue de bois ou demander des changements ? Nous proposons le concept d’ « épreuve performative » afin d’explorer cette question, en nous appuyant sur la démarche de revitalisation urbaine intégrée (RUI) du quartier Hochelaga à Montréal et les rencontres qui ont ponctué sa mise en crise et sa transformation.


Kamel Boukir (EHESS/CEMS),
Alain Mahé (EHESS/CEMS),
Cédric Terzi (Université de Lille
& EHESS/CEMS)

Enquêter sur le 11 septembre 2001, enquêter sur le politique : réflexions sur les médiations de l’expérience fusionnelle.


Les attentats du 11 septembre 2001 ont été un point de bascule dans l’ordre des institutions libérales. La guerre, grignotant toujours un peu plus sur le droit, est devenue un « cadre de l’expérience démocratique » prééminent où viennent s’engouffrer de plus en plus de conflits irréductibles. Guerre au terrorisme, guerre au complotisme, guerre au Covid… Les travaux d’Erving Goffman sur la mise en scène des interactions rencontrent, en un point de fuite inattendu, ceux de Claude Lefort sur la mise en scène et la mise en sens des figurations du politique. Nous proposons de mettre la fécondité des concepts de Goffman à l’épreuve des transformations géopolitiques contemporaines. Nous le ferons en retraçant comment un attentat, retransmis en direct à la télévision, a contribué à l’institution des cadres de l’expérience d’une communauté politique fusionnelle, unie dans la sidération.


Daniel Cefaï
(EHESS/CEMS)

Manifs et occupations : pistes d’enquête goffmaniennes


L’enquête politique s’est beaucoup intéressée aux manifestations de rue et aux occupations de places. On s’intéressera aux pistes ouvertes par Goffman pour décrire de telles mobilisations. On peut les prendre pour des performances publiques dans une perspective théâtrale, ou insister sur la dimension d’interaction stratégique du lobbying de foules. On peut les traiter comme des rassemblements publics qui requièrent un travail de coordination collective, d’engagement mutuel et d’attention convergente. On peut encore décrire des cadres de participation en passant par une ethnographie de la communication qui reprenne les notions de « framing » et de « footing ». Ou alors s’intéresser aux techniques de manipulation des émotions, de fabrication de cadres et de surveillance de l’espace public. Quelques-unes de ces hypothèses seront présentées.


Matthieu de Nanteuil
(UCLouvain/CriDIS)

Violences dans l’interaction. Violences et conflit armé en Colombie, au regard du concept goffmanien d’ «interaction»


Portée par plus de 15 ans d’observation attentive de la société colombienne, cette communication proposera une réflexion critique sur la violence en s’appuyant sur la sociologie goffmanienne.  Après avoir précisé les principales caractéristiques du conflit armé et du processus de paix en Colombie, nous mettrons en évidence l’apport de l’analyse interactionniste pour rendre compte « des ordres pluriels de la violence » (Múnera Ruiz, 2019). Trois termes goffmaniens seront analysés : le « stigmate », la « fissure du cadre », la substitution des « règles de civilité ordinaire » par des « règles de brutalité ordinaire », pouvant aller jusqu’à la mise à mort. A chaque fois, nous montrerons à quoi ces termes renvoient sur le terrain et dans quelle mesure ils permettent une compréhension renouvelée de la violence, en Colombie comme ailleurs. 


Nicolas Duval-Valachs
(EHESS/CEMS)

Une économie politique de l'attention. Un regard goffmanien sur les conseils d'élèves à l'école élémentaire


Les conseils d'élèves sont des réunions, en général hebdomadaires, à l'échelle d'une classe d'école élémentaire. Pendant ces conseils, les élèves et leur enseignant‧e peuvent évoquer des problèmes qu'ils ont rencontré, faire des propositions et éventuellement prendre des décisions ou deviser de règles à l'issue de débats. Le but de cette communication est de mobiliser un certain nombre de concepts d'Erving Goffman relatifs à l'attention conjointe comme des outils de description des conseils d'élèves. La question de l’attention est utilisée comme une entrée heuristique sur les conseils d’élèves, et en particulier sur leur dimension politique. Il s'agit de faire l'hypothèse 1) que le régime d’attention qui prévaut dans un conseil donné, en dessinant un ordre public, nous informe sur le type de relations politiques qui y sont visées ; 2) que la façon dont les normes d’attention sont travaillées par les élèves a également un caractère politique dans le sens où ces réactions peuvent être interprétées comme une résistance à l’ordre public scolaire.


Raimundo Frei
(Universidad Diego Portales)

You won’t look at me. Unpacking the meaning of practices of blocking in digital life


Digital platforms work as central frontstages of contemporary social lives where personal worlds can be shared and made visible, enacting ways of seeing and being seen. Based on Simmel’s and Goffman’s approach to the role of (not) looking in everyday encounters and interactive orders, I examine the strategies that people develop to control online staring. Drawing on forty life-stories in Santiago de Chile about people’s digital lives, the paper specifically reflects on the practice of « blocking » the gaze of someone or something. The analysis differentiates three grammars associated with the practices of blocking: personalizing, defending, and escaping. As these practices imply an effort to control publicness, they are entangled with and reproduce a paradoxical mode of sociability: they invigorate agency at the cost of digital encapsulation and, inverting Goffman’s terms, uncivil attention.


Carole Gayet-Viaud
(CNRS/CESDIP)

Goffman héritier de Durkheim: sources et conséquences d’une approche spatialiste des règles pour la compréhension de la civilité


Un problème posé par la sociologie goffmanienne de la civilité tient à l’approche spatialiste des règles que Goffman reprend à Durkheim, qui est adossée à une vision déontologique de leur autorité. Cette perspective, couplée à la considération de la civilité sous l’angle du rite, obère le questionnement relatif aux sources et aux possibilités du changement dans les règles et les normes, et à l’élucidation de leur façon de s’inscrire dans les situations. Pour cette raison, la civilité pensée dans l’héritage goffmanien est souvent envisagée à partir de sa fonction supposée de confirmation et de (re)production de l’ordre social existant (conformisme, conservatisme). En adoptant une approche temporelle et processuelle de l’émergence et de la transformation des normes, en refusant les dualismes règles/action, apparence/réalité, on replace la question de l’agentivité au cœur des accomplissements civils, lieu de l’expérience de la coexistence ordinaire,  où l’expression de soi, le sens du juste et les épreuves relatives à la pertinence et la validité des conventions instituées, ne se laissent plus dissocier.


Simon Lemaire
(Université de Namur/TRANS)

L’euphorie et la félicité comme enjeux moraux ou moyens politiques : analyse de l’ordre interactionnel au sein d’un groupe de patient-e-s vivant avec la maladie d’Alzheimer.


La maladie d’Alzheimer est le plus souvent associée à une expérience du discrédit. Pourtant, à partir d’une ethnographie de la participation et du politique, j’ai suivi plusieurs groupes de patient-e-s et proches cherchant à promouvoir la participation des usagers et usagères concerné-e-s par la maladie. Avec Erving Goffman, entre autres, nous étudierons les efforts interactionnels déployés dans ces espaces ambivalents où se mêlent différentes conceptions et pratiques de la citoyenneté et du politique autour des personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer. L’ordre interactionnel se révélera alors être traversé par des objectifs pluriels, vacillant, ou modalisant, entre geste moral individualisant et objectifs politiques canoniques. Cela nous amènera à considérer la participation comme un rituel contemporain, auquel on aspire à réinscrire des personnes jusque-là discréditées en raison de leur maladie neurodégénérative.


Marie Le Clainche-Piel
(CNRS/Cermes3)

Quand les enquêté-es s’appuient sur Goffman pour politiser leur cause : l’activisme interactionnel des gueules cassées anglaises.


Au Royaume-Uni, une association de défense des personnes « facialement différentes » a fait de Goffman l’une de ses références clefs. À rebours d’une lecture apolitique de ses écrits, qui peut se rencontrer en sociologie, les dirigeants associatifs s’attachent à traduire les enseignements de l’auteur de Stigmate dans leur combat. J’étudie ici comment ils et elles intègrent les écrits de Goffman et de Mac Gregor dans les actions du collectif, comment ceux-ci sont mobilisés comme outils de désindividualisation et de politisation. Je montre qu’à l’appui d’une conception de leur condition au prisme d’une dynamique collective de stigmatisation, ils forgent un activisme interactionnel. Enfin, j’interroge les limites qu’ils rencontrent au moment où ils tentent de faire reconnaître par le droit les discriminations qui les touchent et où ils construisent des équivalences avec d’autres populations minorisées.


Erwan Le Mener
(Observatoire du SamuSocial
de Paris & EHESS/CEMS)

Lost in Interaction ? Évaluations fortes et dynamiques d’engagement en situation.


Cette communication s’intéresse à une série d’interactions conflictuelles opposant les employés d’un hôtel d’urgence à un couple de résidents. Dans la perspective de ces derniers et avec les outils de la microsociologie goffmanienne, on peut décrire des offenses rituelles et territoriales, qui portent atteinte au self, accompli dans ces cérémonies et distribué dans ces « territoires du moi ». Mais à ce seul niveau de description, on manque les effets de répétition, de dramatisation et d'amplification qui courent d’une scène à une autre, qui configurent et qui minent les rencontres entre résidents et employés. De tels effets de cadrage peuvent être pris en compte en restituant les évaluations de situation que les personnes articulent à leurs conduites, en anticipation, in situ ou après coup. De telles évaluations invitent également à considérer de façon plus substantielle les formes d’engagement dans ces situations : ce qui s’y joue, ce que l’on y met, ce qu’on y travaille, de soi, en personne, et du monde qui nous entoure.


Christian Licoppe
(Telecom Paris & Institut
Polytechnique de Paris)

Statut de participation, « footing » et micropolitique de la visibilité à l’écran dans des écologies fragmentées.


L’ordre de l’interaction, en tant qu’il rend compte de normativités dans la production de contributions pertinentes et légitimes aux échanges sociaux, et ce d’une manière indépendante des déterminations habituelles de la sociologie (les classes, le genre, l’ethnicité, etc.), constitue une ressource puissante pour rendre visibles des inégalités liées à ces variables dans les capacités d’action des participants en situation. En appliquant cette idée aux interactions vidéo-médiatées, je voudrais montrer comment des notions comme celles de statut de participation et de « footing » (Goffman, 1973 ; 1981), peuvent rendre compte des implications interactionnelles de la visibilité à l’écran dans ce type de rencontres, et des effets de pouvoir qui s’y jouent, ouvrant ainsi sur une analyse de la micropolitique de la ‘visualité’ dans ces écologies fragmentées.


Fabienne Malbois
(HETSL-HES.SO & Université
de Lausanne/THEMA)

Trouble dans la participation en régime de télé-expérience. Quand l’enseignement à distance fait (dés)ordre.


L’environnement communicatif médiatisé par le numérique a ceci de particulier que les dispositifs techniques ont le pouvoir de disloquer l’unité spatio-temporelle dont est investi l’ici et maintenant de la situation de coprésence, tout en aménageant la possibilité d’une mise en contact « quasi directe » entre des corps ancrés dans un là-bas singulier. C’est pourquoi la dé-coordination des activités est une menace susceptible de miner à tout instant l’ordre des interactions à distance équipées. Prenant appui sur quelques situations d’enseignement à distance durant la pandémie de Covid-19, ma communication va tout particulièrement s’intéresser à ce phénomène. En décrivant la façon dont, dans les cas analysés, la grammaire ordinaire des conduites est dérangée, il s’agira de documenter des désaccords entre « posture et place, expression et position » (Goffman, 1973 [1971]) typiques de la participation en régime de télé-expérience.


Thomas Mattei
(EHESS/LIER)

Ordre de l’interaction et micropolitique du travail social de prévention dans les quartiers populaires.


Cette communication s’appuie sur un travail de thèse en cours portant sur les pratiques professionnelles des équipes de prévention spécialisée. À partir d’une approche qualitative mêlant observations participantes et entretiens auprès de travailleurs sociaux intervenants dans des quartiers populaires d’Île-de-France, cette communication propose de montrer comment l’attention portée à l’ « ordre de l’interaction » permet de repenser le travail d’intégration et de prévention des professionnels du social dans leurs dimensions morales et politiques. Nous insisterons sur les moments de rencontre, de tensions et de résolution des tensions entre des professionnels et des jeunes cibles de l’intervention sociale dans l’espace public, décrits et analysés à l’aide de concepts d’Erving Goffman. Ce qui nous permettra de percevoir qu’à rebours d’une vision de la prévention comme simple imposition ou substitution d’un ordre normatif sur un autre, l’action des professionnels de la prévention (qu’il s’agisse d’interventions sur des conduites « déviantes » ou étiquetées « radicalisation ») n’est rendue possible et effective que par et dans des formes de coopération et d’intégration entre professionnels et publics cibles de l’intervention.


Alessio Motta
(MNSHS/Epitech)

Situations types et réactions collectives types. La structure des interactions selon Goffman et le déclenchement des mobilisations.


Goffman soulignait que les individus en action sont loin d’être seulement le fruit de leur histoire sociale propre : dans l’essentiel de leurs interactions quotidiennes, ils reconnaissent des situations typiques auxquelles ils s’adaptent par des comportements typiques. On montrera comment cette reproduction de façons de faire « pré-écrites » se décline dans le choix des méthodes de protestations collectives. Les données quantitatives dont nous disposons montrent que dans l’essentiel des cas, les situations types de mobilisation (conflit du travail, lutte locale contre un projet immobilier…) donnent lieu, quand il y a action collective, au mode d’action typique qui leur est associé par les clichés (respectivement grève, pétition…). Les matériaux qualitatifs permettent de montrer par quels processus de négociations ou de lutte interne ces clichés se reproduisent.


Pierre-Nicolas Oberhauser
(Université de Lausanne)

Le « passing », de Goffman à Garfinkel – et retour.


Cette intervention abordera la problématique du « passing » telle qu’elle apparaît respectivement dans Stigma (Goffman, 1963) et dans le célèbre chapitre des Studies in Ethnomethodology consacré au « cas Agnes » (Garfinkel, 1967). Parce que les deux chercheurs s’affrontent clairement ici à une même thématique, le rapport entre Stigma et le « cas Agnes » a pris une place majeure dans les comparaisons entre l’ethnométhodologie et la sociologie goffmanienne. Or, au sein même du livre de Goffman et du texte de Garfinkel, plusieurs indices tendent à indiquer que l’histoire de leur rédaction n’est pas ce qu’elle semble être – et que Goffman se serait en réalité inspiré de l’analyse proposée par Garfinkel au moment de rédiger Stigma, plutôt que l’inverse. C’est cette hypothèse que je chercherai à défendre.


Anthony Pecqueux
(CNRS/AAU)

Créer et maintenir une ambiance égalitaire au sein d’une assemblée ?


Par son attention au couplage flou entre structures et situations, entre les mini-mondes créés localement et le(s) monde(s) plus vaste(s) qui les entourent et dont ils proviennent, Goffman rend attentif à la fabrication (et au travail de maintien, ajustement, etc.) des ambiances des assemblées. confronte à la façon dont ces ambiances fabriquées ne cessent d’être reçues et accomplies localement. Si le nuage de fumée de cigare qui symbolise le mini-monde de la partie de poker endiablée semble le séparer du monde plus vaste, il s’agit d’une membrane qui maintient le lien ouvert. Dans cette communication, je reviendrai, à partir d’exemples empiriques issus d’un cercle de parole sur la précarité (le Parlons-En à Grenoble), sur ces questions classiques pour proposer avec Goffman quelques hypothèses sur la micro-politique des groupes, notamment quand ils se donnent pour visée une égalisation des statuts – dont tous les participants savent qu’elle est illusoire.   


Michaël Perret
(Haute École
de gestion Arc, Neuchatel),
Thomas Jammet

(Haute École
de travail social, Fribourg),
Pierre-Yves Morret

(Haute École
de gestion Arc, Neuchatel)

« AOC for the win » : diffuser une partie de jeu vidéo et faire de la politique, le cas d’une députée américaine.


La communication s’intéresse au travail relationnel déployé par les vidéastes qui diffusent des parties de jeu vidéo sur la plateforme de streaming Twitch. Les travaux de Goffman offrent de puissantes lunettes pour saisir les situations de jeu. Dans la configuration d’une diffusion en direct d’une partie de jeu vidéo sur un service de live streaming, le maintien de l’équilibre situationnel et rituel est porté en grande majorité par la personne qui diffuse. La communication portera sur trois moments où la députée du Congrès U.S. Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) a diffusé des parties du jeu Among Us sur sa chaîne Twitch à la fin de la campagne présidentielle de 2020 aux États-Unis. La communication entend suivre deux objectifs. Premièrement, il s’agit de décrire les propriétés situationnelles d’une diffusion en direct d’une partie de jeu vidéo. Deuxièmement, il faudra décrire les « compétences relationnelles » déployées par AOC afin de gérer le compagnonnage fragile qui la lie avec son public. Ainsi, nous entendons faire ressortir différentes strates de la double performance scénique et vidéoludique d’AOC, en partant du principe que diffuser une partie de jeu et parler de politique lors de celle-ci sont des accomplissements pratiques qui se donnent à voir et qui prennent sens dans l’interaction.


Sophie Russo
(Sciences Po/CERI
& Université Paris Nanterre)

Coprésence et maintien de l'ordre dans le bazar de Karachi : Entre civilité et menaces de déstabilisation.


Cette communication se propose de souligner les apports et limite d'une analyse Goffmanienne des pratiques de maintien de l'ordre dans les espaces urbains en conflit. A partir d'une enquête de terrain ethnographique de neuf mois portant sur les pratiques de leaders d'associations de commerçants dans le bazar de Karachi (Pakistan), ce travail analyse les relations entre l'ordre d'interaction et les logiques conflictuelles dans un espace urbain qui le dépasse. Il montre comment, dans ce contexte où la violence fait partie intégrante de l'horizon d'attente des acteurs, le respect de l’ordre d’interaction fournit un levier important pour assurer le maintien de l'ordre économique et endiguer la violence. Dans le même temps, cette communication se propose de fournir des clés pour enrichir l'analyse Goffmanienne en soulignant la centralité des pratiques de déstabilisation stratégique de l'ordre interactionnel par des acteurs portant des revendications politiques ou cherchant à remettre en cause des rapports de domination.


Justine Scheidegger
(Université de
Lausanne/LINES-ISSUL-SSP)

Goffman et les médias : analyser la «rencontre médiatique». Enquête au sein des archives de la radiotélévision suisse romande (RTS).


Cette communication expose l’application d’une démarche goffmanienne sur du matériel audiovisuel tout en présentant un résultat issu d’une enquête en cours qui pour terrain les archives numérisées de la RTS, et plus spécifiquement, la médiatisation télévisuelle des personnes concernées par une déficience. Les contenus audiovisuels sont pris et analysés comme résultat d’une rencontre entre une équipe journalistique et des quidams. Ils sont à la fois le résultat d’une coprésence en situation, une monstration des interactions enregistrées et une modalisation de cette rencontre. Le paradigme de la rencontre permet ainsi d’accéder aux différents ordres interactionnels médiatiques qui constituent le contenu télévisuel tout en permettant de rendre visibles les places destinées aux personnes dites « handicapées ».


Laure Sizaire
(Université Lyon 2/
Centre Max Weber)

Ruptures de cadre et mise à l’épreuve du genre dans les conjugalités franco-postsoviétiques


Lorsque des relations intimes se nouent sur la scène internationale, faire le genre peut se révéler une tâche ardue. À l’appui d’une enquête menée auprès de couples franco-postsoviétiques, cette communication vise à explorer les dérangements intimes, amoureux, conjugaux et matrimoniaux pour ce qu’ils mettent en lumière : l’existence de régimes de genre précaires, d’autant plus instables qu’ils cherchent à s’actualiser au-delà des frontières. En partant de comptes rendus d’interaction, effectués par les personnes elles-mêmes, l’analyse se porte sur des scènes intimes où les comportements de genre attendus font défaut. Face à ces situations momentanément indescriptibles – parfois décrites comme des « chocs » – les enquêté·es développent des compétences critiques et des capacités d’analyse qui leur permettent d’une part, de soumettre à la discussion les normes, de les dénaturaliser et de justifier celles qui leur semblent les meilleures et, d’autre part, de passer leurs expériences et leurs pratiques au crible de la comparaison transnationale, en particulier celles liées à l’organisation des rapports de genre.


Julia Velkovska
(Orange Labs & EHESS/CEMS)

De l’interaction à l’organisation. Ethnographie des disputes et du travail émotionnel du client dans les interactions de service.


À partir d’une ethnographie des disputes entre clients et vendeurs se déroulant à l’accueil des boutiques d’un opérateur français de services de téléphonie mobile et d’internet, l’objectif de la communication est d’explorer les façons d’articuler dans l’analyse l’échelle des interactions et l’échelle de l’organisation. Alors que la sociologie des organisations dissocie les réalités organisationnelles de l’ordre des interactions, comme si les organisations étaient dotées d’une existence indépendante des activités situées des participants, l’interactionnisme goffmanien et l’éthnométhodologie offrent des perspectives d’analyse originales du rapport action/structure, articulées respectivement autour de la notion « d’ordre interactionnel » et de celle « d’accomplissement pratique ». Dans cette communication j’explore sur le terrain des rencontres de service les pistes ouvertes par ces deux traditions, tout en éclairant quelques différences substantielles entre les théories de l’action qu’elles mobilisent. Les résultats de l’enquête montrent de quelle façon la forme des disputes observés, les revendications du juste de part et d’autre, le travail émotionnel des clients et des vendeurs sont liés aux politiques de rationalisation managériale de la relation client et aux structures organisationnelles mises en place à cet effet.


Mark